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Le TRIO (roman brave)

 
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cacahueteman
Nain-dispensable


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MessagePosté le: Jeu 08 Avr, 2004 21:37    Sujet du message: Le TRIO (roman brave) Répondre en citant

PROLOGUE : introduction à l’horreur.

« Nain-dive, à droite et Thomatoketchup, à gauche. Vous me couvrez : j’ouvre. »
Nain-dré pointa son Lance-Nounours vers la porte et mit un violent chassé frontal près de la poignée. La serrure céda et la porte s’ouvrit en cognant le mur. Elle s’immobilisa avec un grincement. Nain-dré scruta ce qu’il pouvait voir de l’appartement. Personne. Aucune vie entre ces murs. Seule la mort y rôdait : une forte odeur de cadavre, piquante et insoutenable, émanait de ce lieu malsain. Il retînt son souffle et par précaution ordonna à ses coéquipiers :
« Yves, prends le couloir de gauche. Thomatoketchup, passe à droite.
- Nain-dré, viens voir, cria Nain-dive sans détourner les yeux de l’abomination qui s’offrait à lui. »
Nain-dré arriva. Admira : un nain était proprement crucifié sur le mur blanc maculé de sang séché. Crucifié avec quelques dizaines de longs clous. On aurait dit que le corps avait été rongé de l’intérieur : la chair était décomposée, et les lambeaux qui étaient tombés par terre ne présentaient pas de particularité sur la face externe, alors que la face interne était couverte de petites cloques jaunâtres. Par endroits, l’ossature était visible. C’est ce qui captiva l’attention de Nain-dré et de Nain-dive : une ossature métallique.

« Et de trois, laissa échapper Nain-dré, fasciné, tandis que Thomatoketchup venait d’arriver.
- Quelle cruauté ! Qui a pu…, articula un Thomatoketchup ébahi autant qu’ébloui. »
En effet, quelle cruauté ! Paradoxalement, c’est ce que l’on pouvait lire sur le visage du nain, qui n’était qu’assez peu abîmé : de la cruauté. Non pas de la peur, la peur il l’avait déjà surmontée et il savait qu’il devait mourir ainsi, ni de la souffrance, ni même de la haine envers son agresseur. De la cruauté : ses yeux fixaient encore le lieu où s’était tenu l’assassin, et un sourire inquiétant s’étalait sur sa face. On aurait dit qu’il riait d’avance de sa vengeance. Et il allait être vengé.

Chapitre 1 : un cadavre nommé Nain-na.

Encore. Eh oui, une fois de plus, Nain-dive, Thomatoketchup et Nain-dré avaient un métro de retard. Ils étaient déjà passé. Ils avaient déjà œuvré. Et s’étaient évaporés. Monde des braves est une vaste map, et peut-être même qu’ils l’avaient déjà quittée.
C’était le troisième meurtre en deux mois. Encore un nain métallique révolté qu’ils avaient supprimé. Toujours de la même manière : le pistolet à clous empoisonnés. Ils ne devaient pas pouvoir les tuer autrement.
Nain-dré, Nain-dive et Thomatoketchup, bien que ce fût le troisième crucifié qu’ils voyaient, ressentaient à nouveau ce mélange de fascination et de dégoût devant l’offrande à leurs yeux de cette scène impressionnante. En effet, à chaque fois un détail singulier, le plus souvent macabre, les captivait. Le premier crucifié avait été torturé avant d’être cloué. Le second avait été tué avec une naine, sa naine probablement, à ses côtés. Quant à celui-ci, ce sourire… Tous ces nains étaient âgés de vingt-cinq à trente-cinq ans environ, et leurs dépouilles révélaient qu’ils étaient assez athlétiques et beaux. Mais le pire des enfoirés de cette planète ne méritait pas une telle mort. L’immoralité menait la danse dans l’esprit de ces tueurs, ces assassins sans aucun scrupule qui jamais, ni avant, ni pendant, ni après leur acte ne se posaient la question de savoir pourquoi ils avaient si atrocement tué ces types. Le cœur de ces meurtriers n’avait jamais dû battre au rythme de l’amour. Aucun dieu ne guidait leurs pas. Seuls un desert eagle et quelques billets.

Nain-dré pensait à toutes ces choses en regardant le visage du crucifié. Il serra son arme puis ferma les yeux quelques secondes. Le temps de recommander cette âme à qui voudrait bien la sauver. Quelques cheveux blancs sur les tempes témoignaient de la quarantaine passée de Nain-dré. Quarante-trois ans pour être précis. Il dirigeait la guilde : un certain charisme lié à une autorité naturelle coulait dans ses veines. Ses cheveux bruns, ses yeux marrons, tout lui donnait une apparence banale. C’est l’autre raison, avec son métier, qui expliquait pourquoi il était célibataire ; un métier dont peu de personnes connaissaient l’existence, un métier dangereux qu’il avait choisi à cause des moyens financiers dont il disposait, conséquents, et aussi à cause de son père. Il l’avait abandonné, le laissant seul avec sa mère, orphelin d’un amour paternel qu’il n’avait rien fait pour perdre. Puis il avait trouvé une vieille lettre disant que son père avait « été promu au rang de bras droit du chef de l’Organisation Sadique». Dès lors, la curiosité enflamma son esprit. Il voulait la vérité. Elle l’obsédait. Et cette horreur qui se dressait en ce moment devant lui n’était que le reflet de son quotidien. Entre amour et haine, il situait le père qu’il n’avait jamais eu, même quand il était là : froid comme la glace et dur comme la pierre.
Thomatoketchup, silencieux, observait cet étrange personnage qu’était Nain-dré. Bien qu’il lui vouât une admiration sans borne, il se refusait à adopter son attitude et à éprouver de la pitié pour le crucifié. Du haut de ses dix-neuf ans, la vie, rude envers lui, lui avait appris qu’il n’était besoin d’aucune pitié. Il comparait la vie à une femme : douce un jour, mère de malheur un autre. Mais il ne connaissait pas toutes les femmes.
Nain-dive rangea son Mug Brûlant, réajusta son pardessus, aussi noir que ses cheveux, puis esquissa un bref signe de croix. Puis il resta dans cette posture. Puis… Rien. Il se dressait là, fier, en apparence au moins. Sa vocation première avait été d’être prêtre de Schalvbeuk; mais il s’était dit qu’il serait plus actif dans le secteur où il avait pris place maintenant. Sa maturité et ses attitudes lui donnaient plus que ses vingt-sept ans, et un charme immense se dégageait de lui. Il était très ouvert, adorait les contacts humains et possédait un don évident pour la diplomatie, ce malgré sa jeunesse et des réactions parfois insolentes. Pour couronner le tout, ses parents lui avaient prodigué une éducation pleine de principes. Dans le vert de ses yeux se reflétait le cadavre. Ils se ressemblaient : leur grande taille pour des nains, leurs larges épaules, leur cou de taureau, leur impressionnante musculature… Tant de détails qui favorisaient la compassion de Nain-dive, bien qu’il sût pertinemment que paraître n’est pas être. Soudain il se prit à caresser sa barbe de trois jours à rebrousse-poil, ce qu’il faisait quand il était angoissé. Son geste le mit mal à l’aise. Il se jura de tuer l’agresseur, uniquement pour trouver une raison à sa gêne. Cependant ce n’étaient pas des paroles en l’air. Il ne parlait jamais pour ne rien dire. Il mit ses mains dans ses poches.
Ces trois nains formaient une guilde anonyme de lutte contre l’Organisation Sadique: la Troupe de Recherche et d’Investigation sur l’Organisation. En d’autres termes, le TRIO.

Nain-dré rangea son Lance-Nounours et s’avança à pas rapides vers le crucifié ; il voulait en finir le plus vite possible. Bien que l’odeur fût nauséabonde, le dégoût, qu’il éprouvait pourtant, n’avait en rien modifié l’expression de son visage ; et un par un il extirpa de la chair rongée les longs clous, assez similaires à des seringues épaisses de moins d’un centimètre. Autour de ceux-ci la peau présentait d’étranges sillons jaunes au lieu des veines. Parfois, les os craquaient lors de l’extraction des pointes, sur lesquelles un sang jaune avait séché. Une fois cette corvée terminée, il allongea le cadavre sur le dos et le dévêtit. Rien dans la veste. Rien dans la chemise. Rien dans le pantalon. Rien dans le pardessus marron. Rien. Il clôt les paupières du nain avant de se relever.
« Et l’étiquette ?, l’interrogea Nain-dive en faisant un signe de tête en direction du pardessus. »
Nain-dré y jeta un œil. Il lut tout haut :
« Nain-na. Un travelot ? Non, ça ne colle pas. Bien vu, Nain-dive.
- Rentrons, dit ce dernier. Cet endroit…
- Oui, rêva Nain-dré. La nuit arrive ; les étoiles sombrent s’affaissent sur le pays des ombres. »
C’était une expression qu’il affectionnait particulièrement. Pourquoi ? Il aimait les jolis mots. Sur ce, il reprit le « rentrons » de Nain-dive, sur le ton sérieux et décidé dont il faisait souvent usage. Le TRIO se glissa hors de la nouvelle propriété d’une âme. Un mort a droit à la paix.
Dans l’escalier, ils croisèrent deux médecins qui montaient. Ils semblaient pressés. Nain-dré crut se rappeler avoir vu deux types en blouse blanche lors du dernier meurtre, mais il n’y prêta pas attention. Cette Nain-na, leur première piste sérieuse, hantait son esprit.

Chapitre 2 : les relations de Nain-na.

« Trouvez-moi cette Nain-na.
- OK, dit Nain-dive. »
Nain-dré se pencha sur son bureau et fixa le cercle de lumière produit par sa lampe. Il réfléchit infructueusement, machinalement, comme tous les soirs depuis une trentaine d’années. « Qui sont-ils ? » Cette interrogation le torturait. Ô combien nombreuses furent les hypothèses qu’il avait émises ! Même la nuit, des cauchemars le hantaient. Un nain-tellectuel génial, un 10 PV acharné, qui était son père ? Pour le savoir, il aurait tout donné.
Nain-dive et ses doigts de fée pianotaient depuis un quart d’heure. De temps à autre il buvait une gorgée d’un petit rouge qui avait une touche de caractère sympathique.
Thomatoketchup jouait avec les pinces de son Crabe polarisé. L’air était sec et une musique muette remuait ses lèvres. Ici, il avait trouvé la vie qui lui convenait, un métier pour sa personnalité : la traque, l’action, la réflexion, il était dans son élément. Même si son existence n’était pas très saine, il se croyait heureux. Ainsi marginalisé, il se sentait différent de la masse aveugle des nains ordinaires, qu’il méprisait par rébellion ou par jalousie, ou peut-être un peu des deux, il se sentait goutte d’huile sur l’océan. Un père, un ami, pour lui c’était plus qu’il n’avait jamais eu et donc suffisant. Au fond quelqu’un de bien que la vie avait trop malmené. La musique s’arrêta.
« Nain-na, née en 1984, ce qui fait… vingt-trois ans, un mètre soixante-sept pour cinquante-trois kilos, domiciliée au 20.7, Oasis.
- Allez, les enfants, dit Nain-dré avec enthousiasme : faites vos bagages ; on part à l’aube. »

Nain-na rangea son Glaive classique dans son sac à main et partit travailler. Il était aux environs de sept heures.
La masse blonde de ses longs cheveux, qu’elle avait remuée comme il lui en prenait souvent l’envie, replongea sur ses épaules. Une mer de tristesse dans le bleu profond de ses yeux. Tristesse assassine de beauté. Mais beauté.
Elle monta dans sa Desansis et démarra. Un instant plus tard, deux autres voitures la suivirent : une F1 verte aux vitres teintées et une voiture de course qui accélérèrent brutalement pour ne pas la perdre de vue au cœur de la circulation matinale du centre ville. Un feu obligea Nain-na à s’arrêter ; les deux autres firent de même. Soudain les portières de la F1 s’ouvrirent et trois nains en surgirent qui encerclèrent Nain-na : l’un d’eux armait un Lance-Nounours tandis que les autres pointaient fermement leurs deux Biberons à répétition sur elle. Elle était morte.
Trois clicks suffirent. Pleine tête. Ces nains-là étaient des pros. Des badauds fuyaient, affolés, alors que d’autres restaient pétrifiés par la peur, ce qu’ils tenaient une seconde auparavant – sacs, packs de Bière, laisse du Chapin qui n’avait pas demandé son reste, etc. – gisant piteusement à leurs pieds dans l’indifférence la plus totale. Les cadavres des types de la F1 jonchaient la chaussée. Le sang courait jusqu’aux égouts et le cœur de Nain-na battait à cent à l’heure. Elle ne comprenait pas : les nains de la voiture de course avaient descendu les nains de main de l’Organisation Sadique. Pardessus noirs autant que leurs lunettes : le TRIO.

Ils rengainèrent leurs armes en signe de bonne volonté avant de s’approcher de Nain-na, puisqu’il est bien connu que les cadavres ne parlent pas. Cette dernière eut une mauvaise réaction : elle tourna son Glaive classique vers eux ; cependant au fur et à mesure qu’ils avançaient, ses mains tremblaient. Leur visage insondable, elle bégayait. Leur pas imperturbable, elle pleurait.
« Ne… n’avancez pas… plus… Arrêtez. Mais arrêtez… Je… je vais frapper. »
La voix au timbre tremblant reflétait une angoisse prononcée qui devait beaucoup au non-sens de la situation pour la jeune naine.
« Ne soyez pas stupide, dit calmement le plus grand des trois ; une seule frappe n’a jamais tué trois nains.
- J'ai 30 PA !
- Mais nous sommes plus nombreux que votre index droit. »
Les yeux de la victime erraient sur les nains qui lui faisaient face, et Nain-dive reprit :
« Nous ne vous voulons aucun mal, bien au contraire. »
Nain-na craqua et baissa le canon de son arme. Elle s’extirpa ensuite de sa petite Desansis et se tînt debout quelque temps, dévisageant Nain-dive de ses yeux bleus et ardents sur ses jambes chancelantes, lui arrachant même un sourire. Qu’elle lui rendit, soulagée et soudain assurée de sa sécurité, comme s’il avait été le seul à la sauver des griffes immondes des nains de la F1, dont elle ignorait tout. Nain-dive… Quel charmant jeune nain ! Cependant quelques mots suffirent à briser le charme :
« Veuillez me pardonner, mademoiselle, mais je dois vous parler, jeta froidement Nain-dré.
- Je…
- Pas ici. Garez votre voiture et montez dans la mienne. »
Le ton strict du meneur du TRIO fit qu’elle s’exécuta comme une enfant sage sur l’ordre de ses parents.

Les quatre portières claquèrent et la jeune naine commença :
« Qui êtes-vous ?
- Moi, c’est Nain-dré. Lui c’est Thomatoketchup et lui Nain-dive, dit-il en accompagnant ses paroles de brefs signes de tête. Mais vous en savez déjà trop. Qui était le nain à qui vous aviez prêté votre pardessus marron ?
- Schleuman… Pourquoi, que s’est-il passé ?
- Il est mort. »
Elle n’eut pas la force de crier. La brutalité des paroles de Nain-dré lui fit l’effet d’un couteau planté dans son dos dont on remuait le manche pour la faire souffrir. Et elle se remit à pleurer, la peau douce de ses joues humide encore de ses précédentes larmes, ne cherchant pas même à sécher son visage. Le malheur, qui n’était jusqu’alors qu’un nuage sombre, abattait sur elle un orage violent et soudain qui dégoulinait en sanglots le long de ses pommettes.
« Schleuman m’avait dit qu’il ne reviendrait peut-être pas, mais je… Je n’étais pas sûre… J’espérais que…
- Schleuman de quelle guilde ?, l’attaqua Nain-dré.
- La World Guardians. »
Nain-dré se rendait bien compte de son agressivité, mais il n’y pouvait rien : l’effervescence des évènements, cette violence, tout lui remémorait son père, et il se comportait comme lui. Cela lui permettait aussi de pallier le manque que ce nain avait laissé dans sa vie d’enfant : désormais, Nain-dré était son propre père.
Nain-na implora Nain-dive du regard : « Pourquoi me faites-vous subir cela ? Il est… mort. Mort ! MORT ! Laissez-moi, mais laissez-moi, bon sang ! »
« Ne vous inquiétez pas, tenta de la rassurer Nain-dré. On va vous protéger.
- Mais je ne veux pas ! Je veux… Je veux… Je ne sais plus… Je ne veux rien, bon sang ! La mort de Schleuman ne vous suffit pas ? Vous n’avez pas compris que je ne sais rien ? Vous n’avez pas compris que c’est au salaud qui a fait ça qu’il faut demander des informations ?
- Pourquoi un squelette métallique ? Pour qui travaillait-il ?, hurla Nain-dré en lui braquant son Lance Nounours sur la tempe. Vous n’êtes pas la seule à avoir des états d’âme. On n’est pas au pays des merveilles, on est sur ce putain de monde qui fait bien de nous ce qu’il veut ! Tout n’est pas rose ! Trois nains viennent de crever, et vous croyez qu’on a pris notre pied ?! Faut descendre de votre petit nuage, faut se réveiller, bordel ! Il est largement temps ! La vie n’épargne personne. Le destin a voulu que vous le rencontriez, et ça implique des conséquences. Tout implique des conséquences ! Surmontez-les, merde ! Ca ne sert à rien de pleurnicher ! La vie vous apportera son lot de bonheur comme de malheur ! »
Il abaissa son arme et reprit d’un ton plus calme :
« Mais vous aurez du bonheur. »
Elle resta quelques instants muette, les yeux baissés, noyés dans leurs larmes. Comme il avait raison ! Cette évidence lui sauta soudain au visage dès qu’elle y eût réfléchi un peu. Il l’avait apprivoisée et elle parla :
« Je ne savais pas qu’il avait un … squelette…
- Métallique.
- Métallique, c’est ça. Ni pour qui il travaillait. Mais son meilleur ami… son seul ami… Lui doit savoir. Ils passaient beaucoup de temps ensemble, surtout ces derniers temps. Beaucoup plus qu’il n’en passait avec moi, avoua-t-elle avec regret. Mais je l’aimais. »
Un sanglot ponctua cette dernière phrase. Elle ignorait les raisons qui la poussaient à dire tout cela à des inconnus, mais elle avait besoin de parler. Elle leur révéla ensuite qu’il s’appelait Maximus et qu’il habitait Oasis, en face d'un palmier.

Ils se garèrent le long de la vaste étendue d'eau. Une fois qu’elle eût reconnu la porte d’entrée de l’immeuble et le nom de Maximus sur l’interphone, Nain-na enfonça la touche. Quelques secondes plus tard, une voix méfiante se fit entendre :
« C’est qui ?
- Nain-na. »
Une petite sonnerie retentit qui signifiait l’ouverture de la porte. Ils empruntèrent l’ascenseur. Dans le silence qui y régnait, Nain-dré pressa le cinq. Il était nerveux : l’atmosphère pesante, entretenue par les chaudes expirations, lui donna envie de fumer.
« Nain-na, vous avez un Paquet de clopes ?
- Oui, une sec…
- Tu devais arrêter, articula lentement Thomatoketchup, les yeux rivés sur la porte. »
Nain-na regarda Nain-dré, interrogative. Il fit un geste de la main en soupirant :
« Laissez tomber. »
Le silence de renaître. Un court instant. Après une légère secousse et un bruit mécanique, la porte s’ouvrit. Nain-na dirigea le TRIO vers l’appartement au fond à gauche du pallier. Elle s’apprêtait à sonner, quand elle se rappela que Schleuman frappait cinq coups secs à la porte ; toujours. Elle décida de l’imiter. Un bruit de pas étouffé leur parvînt de l’intérieur, puis des grincements de verrou, et finalement la poignée tourna. Thomatoketchup la suivait des yeux, sa curiosité ne pouvant sur le moment s’abattre que sur elle. La porte s’ouvrit dans une longue plainte, dévoilant un nain, athlétique, la trentaine, et le sourire aux lèvres lorsqu’il aperçut Nain-na. Mais il se rendit aussitôt compte qu’elle n’était pas seule : il pâlit soudain et glissa furtivement sa main derrière son dos, d’où jaillit un Porte-Manteau-Boomrang qu’il brandit sans l’ombre d’une hésitation. Il le dirigea avec une troublante assurance sur Nain-dré qu’il reconnut comme le chef des deux autres, grâce à une étrange tradition nainwakienne qui veut que les plus âgés dirigent les plus jeunes.
« Jetez vos crucificateurs. Je ne plaisante pas, dit-il sur un ton se voulant persuasif.
- Ce sont des… des amis, Maximus, rectifia Nain-na avec un bégayement affolé.
- Nos seules armes sont celles-ci, continua Nain-dré en montrant son Lance Nounours. Elle dit vrai ; nous voudrions seulement vous poser quelques questions. »
Maximus sonda le visage du meneur et les invita froidement à entrer. Il referma la porte derrière eux et la verrouilla.
« Modos ?, interrogea-t-il sur un ton neutre.
- Non, non… Rien d’officiel : nous sommes une petite guilde privée, la Troupe de Recherche et d’Investigation sur l’Organisation, ou encore le TRIO, ajouta Nain-dré.
- Dans ce cas, affirma Maximus plus chaleureusement, soyez les bienvenus : les ennemis de l’Organisation Sadique sont mes amis.
- On peut s’asseoir ?, questionna le jeune Thomatoketchup.
- Ca risque effectivement de prendre un petit peu de temps, reprit sur-le-champ Nain-dive en lançant un regard désapprobateur à Thomatoketchup concernant ses manières.
- Bien sûr.
- Merci, dit Thomatoketchup en regardant à son tour Nain-dive, une pointe de défi au fond des yeux.
- Que vouliez-vous me demander ?, dit Maximus en s’asseyant dans un fauteuil.
- Mes nains et moi souhaitions avoir des informations sur Schleuman. Mais tout à l’heure vous avez parlé de crucificateurs : ce sont bien ces lance-clous empoisonnés ?
- Oui.
- Alors je suppose que vous avez aussi un squelette métallique.
- C’est exact, confirma derechef Maximus. Mais ça n’est pas de Schleuman que vous vouliez parler ?
- Schleuman ou vous, c’est égal. Il était dans le même bain que vous, et…
- ETAIT ?, répéta Maximus, les yeux écarquillés. Donc, il s’est fait avoir… »
Il s’enfonça dans son fauteuil, joignit les mains et fronça les sourcils. S’ils avaient eu Schleuman, ils l’auraient aussi un jour ou l’autre. C’est pourquoi il résolut qu’une aide lui serait nécessaire, comme celle de ces trois nains. Il allait parler. Il devait parler. Ne rien omettre. S’il voulait avoir le dessus sur l’Organisation Sadique, il ne pouvait pas se cacher : il était obligé d’attaquer, de la devancer et de la prendre à son propre piège.
« Je ne sais pas si Nain-na est prête à entendre la vérité.
- Je veux savoir !, répliqua-t-elle en serrant instinctivement la main rassurante de Nain-dive, assis à côté d’elle. »
« C’est mon droit », pensa-t-elle. Depuis le début de la conversation, des mots qu’elle ne saisissait pas – crucificateur, Organisation Sadique – avaient attisé sa curiosité sans qu’elle n’ait osé interroger ces trois nains, si sérieux, ni Maximus, qu’elle découvrait sous un jour qui lui était inconnu jusqu’alors.
« Dans ce cas… Au début, Schleuman et moi étions gardes du corps. Mais la guilde pour laquelle nous travaillions, la World Guardians, était en fait une filière de l’Organisation Sadique. Je n’en sais pas beaucoup sur elle, mais je pense qu’elle est d’une importance considérable ; en tout cas répandue dans tout Nainwak. Bref. Dans la guilde, quand on monte en grade et qu’on parvient à se faire remarquer, on met les pieds dans la merde de Nainwak, mais personne ne vous a prévenu et vous n’avez pas mis de bottes… Un jour, le patron vous convoque et vous propose un salaire astronomique après une série de tests et d’entretiens; n’importe qui accepterait. Quelques jours plus tard, il vous convoque à nouveau en vous disant qu’il faudrait que subissiez « une opération dans le cadre d’une meilleure résistance physique », de la chirurgie mineure et anodine à l’en croire. Mais quand les effets de l’anesthésie cessent et que vous reprenez conscience, vous n’êtes plus qu’un morceau de métal, une sorte de Robocop – vous vous souvenez de ce film ? Ca se sent, c’est assez étrange. Enfin la vie continue, et on vous informe que dorénavant vous êtes quasi-invulnérable. C’est alors que la réponse à l’augmentation de salaire arrive : vous n’êtes plus garde du corps, vous êtes assassin 10 PV à la solde de l’Organisation Sadique.
- Et pourquoi veulent-ils vous tuer ?
- Nous avons refusé ! Enfin refusé n’est pas le terme approprié, disons que nous avons fait mine d’accepter et que nous nous sommes enfuis, car nous nous doutions qu’on se serait fait tuer sur place, reconnut Maximus.
- Maintenant je comprends le pourquoi du nom d’Organisation… Leur système est à la fois classique et original : de l’argent, de l’argent, tant de nains vendraient leur âme au diable pour de l’argent. Tant l’ont déjà fait. Ambition, cupidité, naïveté… Si l’amour est aveugle, la cupidité l’est aussi, remarqua avec justesse Nain-dré. Et puis ces méthodes leur garantissent loyauté et efficacité. A mon avis, vous êtes l’exemple flagrant de leur seule faille.
- Savez-vous quelque chose sur ces crucificateurs ?, jeta subitement Thomatoketchup, fasciné par l’histoire.
- Vaguement… Mais tout d’abord je dois vous expliquer l’opération et ses conséquences : on prélève la moelle osseuse par piqûre et on injecte à la place un alliage liquide de différents métaux mélangé à autre chose…
- Que…
- Je n’en sais pas plus, coupa-t-il. Continuons : ce mélange ronge l’os, prend sa place et se solidifie à cause d’un manque de je-ne-sais-quoi. Au quotidien, ce mélange métallique vit et sécrète un sérum qui guérit toutes les blessures. Tout ce que je sais, c’est que ce sérum détecte les blessures grâce à l’activité électrique des nerfs sensoriels. Les crucificateurs sont tout simplement des lance-clous anesthésiques. Dans la vie courante, la seule chose à laquelle nous sommes sensibles est la maladie non-douloureuse – cérébrale, etc. C’est tout ce que je sais, acheva Maximus en regardant le visage de son auditoire.
- Je ne comprends pas, dit Nain-dré après réflexion. Si c’était un anesthésiant, lorsque son effet cesserait le corps vivrait de nouveau, sauf si la dose létale était atteinte, mais même là, le squelette et le sérum seraient encore actifs : donc, si un courant artificiel passe dans le corps et qu’il présente les caractéristiques d’un signal douloureux – et Schlavbeuk sait qu’il sont nombreux – le mort ressuscite. La probabilité est minime, mais un ex-membre de l’Organisation Sadique pourrait connaître le truc, par exemple, et je doute que des gens si appliqués aient pris un tel risque. Et cette hypothèse n’explique pas pourquoi la peau et les organes sont rongés de l’intérieur…
- C’est peut-être un acide qui détruit les organes et le squelette, proposa Thomatoketchup. L’anesthésiant ne servirait qu’à immobiliser le squelette et son sérum le temps que l’acide agisse. Car tant que l’acide n’a pas atteint le squelette, le sérum qu’il sécrète stoppe sa progression et répare les organes. Enfin il nous faudrait un de ces clous pour en être sûrs. C’est con, on aurait pu en prendre un sur Schleuman. »
Nain-na serra plus fort la main de Nain-dive tandis qu’une larme perlait au coin de chacun de ses yeux. Elle l’essuya discrètement pour se donner l’illusion d’être forte.
« Et pourquoi le corps serait-il rongé seulement de l’intérieur, petit génie ?, dit Nain-dive à Thomatoketchup pour le taquiner.
- Tout simplement parce que l’acide et l’anesthésiant sortent par l’extrémité des clous.
- Bien vu, petit génie, admit Nain-dive à regret. »
Leur relation était assez ambiguë. Ils se provoquaient sans cesse, Thomatoketchup parce que Nain-dive était un peu trop BCBG à son goût, et Nain-dive parce qu’il était quelque part un peu jaloux des PI de Thomatoketchup. Mais chacun avait ses qualités et ses défauts, et ils éprouvaient un grand respect l’un pour l’autre.
Il n’était encore que neuf heures en ce vingt-deux juin 2007, et Maximus offrit à ses hôtes un petit déjeuner que seul Nain-na déclina : elle avait mangé avant de partir travailler, et l’idée d’ingurgiter le moindre élément lourd lui donnait envie de vomir. Avant de partir travailler… Mais au fait, c’est vrai ! Elle avait un travail, des amis, des parents ! Elle ne pouvait pas tout laisser tomber aussi subitement, ils ne comprendraient pas, ils se mettraient à la détester ou à l’oublier, et cette pensée lui faisait horreur ! Cependant la réalité la conduit à s’y résoudre, épaulée dans sa tâche par un choix évident offert par Nain-dré : disparaître ou mourir. C’est alors qu’elle perdit pied et qu’elle sentit la confusion envahir son esprit – l’amour, la mort de Schleuman, la haine, sa double vie, le passé, ce qu’elle abandonnait dans son ancienne vie, l’avenir, le guet-apens, la raison, la folie, tout se bousculait dans sa tête ; c’était trop pour elle. Le malheur aussi est assassin de beauté. Comment cet homme qu’elle avait tant aimé avait pu lui cacher tant de choses ? Elle se sentait trompée. La déception pourrissait en elle et lui abîmait le cœur. Nain-na n’aurait jamais osé imaginer que le mensonge poussé à son paroxysme puisse venir de l’être aimé. Nain-dré avait raison, elle avait encore beaucoup à apprendre.
Elle était restée seule à réfléchir dans le canapé du salon, alors que les autres mangeaient dans la cuisine. Ses yeux s’attardaient sur une photo de Maximus et Schleuman au bord de Piscine, punaisée maladroitement sur le mur. Ils étaient partis là-bas un week-end de juillet dernier, sans l’emmener ; elle avait eu beaucoup de peine, mais leur amitié était intense et ils avaient été très pris par leur travail quelques mois auparavant, aussi avaient-ils ressenti le besoin de se retrouver. Ce n’était pas tant le phare que la coupe de cheveux de Schleuman qui l’avait assurée du lieu et de la date : à l’époque il avait une mèche plus longue que les autres qui lui tombait d’un côté ou de l’autre du nez s’il avait décidé de ne pas la glisser derrière son oreille droite. Le vent la faisait onduler joliment. « C’est drôle, songea Nain-na, c’est la première fois que j’aime cette mèche. » Personne en effet n’appréciait cette excroissance capillaire assez bizarre, et c’était d’ailleurs la raison pour laquelle il l’avait supprimée d’un coup de tondeuse en novembre dernier ; il avait beau être têtu, les remarques assassines ou taquines avaient fait leur effet, même si cela avait pris deux ans, le temps qu’elle avait mis pour pousser. Sur la photo, Schleuman souriait. Nain-na sourit. D’un coup s’envolèrent toutes les choses qu’elle venait de penser à propos de lui, la trahison, tout ! et l’amour reprit le dessus, comme le soleil réapparaît toujours après la nuit. Et le sommeil après l’ennui. Elle dormit. Pour oublier. Ce que d’autres faisaient un verre ou une pilule à la main, elle avait la chance de pouvoir le faire blottie au creux d’un canapé. Dans ses rêves, elle réécrivit son idylle.
Dans la pièce d’à côté, quatre nains discutaient autour d’une cafetière à moitié vide. Maximus souhaitait en effet agrandir le TRIO :
« Ils m’ont volé ma vie ; je veux leur reprendre pour que justice soit faite.
- Je ne sais pas, hésita Nain-dré.
- Seul, je suis leur gibier. Mais avec vous je suis leur virus. D’abord quelques douleurs passagères auxquelles ils ne prêteront pas attention, puis une gêne dans des mouvements dont l’ampleur ne fera que diminuer, mobilité peu à peu immobile, tout geste entraînant l’asphyxie, lente et perverse, la paralysie, mort lente qui s’insinue sournoisement jusqu’au cœur, laissant sans sang le cerveau sentant survenir la sordide et somptueuse agonie du géant abattu par le tout petit…
- Là n’est pas la question. Vous désirez une vengeance personnelle et vous avez 1 PH.
- Je ne le cache pas.
- … et votre but n’est pas le nôtre, vous servirez vos intérêts avant ceux du TRIO. Je ne veux pas de ça dans mon équipe.
- C’est vrai. Et vous, pourquoi avez-vous fondé le TRIO, si ce n’est pour assouvir un désir de vengeance obsédant ? Pourtant, vous aimez vos coéquipiers, vous êtes leur ami, ils ont confiance en vous.
- Il faut que j’y réfléchisse, concéda enfin Nain-dré. On verra demain : la nuit porte conseil, comme on dit si justement.
- Vous n’avez qu’à dormir ici, leur proposa Maximus, qui au fond agissait égoïstement en abusant de cette garde personnelle inespérée.
- Ca, c’est une idée qui me va tout à fait, conclut Thomatoketchup entre deux bouchées de croissant. »

La suite au prochain numéro (j'en ai encore 40 pages...)! En fait c'est un roman inachevé que j'ai adapté à l'univers de Nainwak, alors j'espère ne pas avoir oublié d'éléments en cours de route...
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